148

GHELDERODE, Michel de .- Correspondance avec...

Currency:EUR Category:Everything Else / Other Start Price:NA Estimated At:2,000.00 - 4,000.00 EUR
GHELDERODE, Michel de .- Correspondance avec...
GHELDERODE, Michel de .- Correspondance avec Urbain Thiry. 77 lettres autographes signées et datées, encres noire, rouge ou verte sur papier bleu, rose, mais le plus souvent blanc, longueurs variées (de la carte postale à plusieurs ff.), qqs-unes avec dessins ou ornements (la grande majorité avec envel. conservées).
Lettres emplissant tout l'espace, jusqu'à ce qu'il soit saturé de mots écrits dans tous les sens, de dessins, de rajouts; logorrhée de mots et pensées revenant inlassablement à ses écrits, sa santé, sa gloire, ses écrivains protégés, ses démons, aux sortilèges de Gand... avec parfois un vrai sentiment dénué d'intérêt. Lettres écrites souvent le soir, lorsque le prend le vague-à-l'âme ("ce bavardage du soir : l'âme se met sur le seuil de la rue, et parlotte à qui passe", 2-9-60, et "si j'écris - moi - si volontiers à ceux que j'aime et estime, c'est parce que je suis un tourmenté: voilà le secret !...", 25-8-60), plusieurs enluminées de dessins, grands ou petits (le 2-11-60, il se plaint que Thiry ait reproduit une de "ces plaisanteries graphiques" dans les Cahiers, mais les lettres suivantes sont presque toutes illustrées !), parfois avec collages...
C'est par une lettre de remerciement en janvier 58, le Dr Moulaert ayant donné à Gh. un écrit de Thiry, que commence cette correspondance, mais ce n'est qu'à partir de la mi-'60 qu'elle devient régulière, parfois quotidienne (voire plus !), la dernière lettre ayant été envoyée le 11-2-62 (Gh. meurt le 1-4-62). Le lien d'amitié qui se développe avec Thiry commence avec Les Cahiers, auxquels très vite Gh. collabore et propose des textes d'écrivains mineurs et amis, avec Jean Ray ensuite dont Gh. s'enquiert sans cesse et aussi autour de Gand, le reste de la correspondance étant secondaire. Nous en développons ci-après les thèmes majeurs :
Gand où Thiry propose maintes fois de l'emmener, sans succès.
"je suis d'origine gantoise, et je porte une singulière affection aux hommes de cette cité indéchiffrable, terrible et séduisante (c'est selon !) qui a donné aux Lettres, aux Arts et aux Sciences tant d'originaux personnages", janvier 58). Il y a été, à l'âge de 20 ans, mais n'y est plus retourné : "Cette cité me fait peur, à ses heures, sous tels éclairages" (24-4-60),- cette "cité que j'aime en la craignant" (6-6-60),- "mon énigmatique et inquiétante cité qu'un indéchiffrable sortilège m'empêche d'approcher - sérieusement..." (13-6-60). Gand devient "la cité de Jean Ray [...]. Il y a là un brouillard où je n'ose errer seul, des pièges que je pressens, des fantômes embusqués [...] cette ville envoûte, et je ne suis pas le seul à m'y sentir perdu et affreusement seul !" (16-8-60). Il renvoie à ses anciens écrits sur Gand dont "La Flandre est un songe" (Brux., Durendal, 1953, # Beyens 933) que Thiry a essayé d'acheter à Gand mais qu'il n'a pas trouvé : "serait-ce le sortilège gantois qui agit contre moi ? le même qui m'empêche d'entrer dans cette ville et d'y vivre, fût-ce une seule journée ?" (12-11-60).
Les Cahiers de la Biloque : toute la correspondance y fait allusion. Gh. a sincèrement cherché à sortir la revue de son amateurisme en y participant, en la critiquant pour la voir grandir et en y faisant publier des poèmes ou écrits d'écrivains qu'il défendait : de Giey, Gevers, Van de Haute, Bruneau... "La Biloque me plaît, dans sa modestie, éloignée de la Kermesse littéraire !" (18-6-60), "c'est le rôle d'une revue comme la Biloque, de révéler, autant que possible" (30-8-60). A l'occasion des 10 ans de la revue, Gh. félicitera Thiry de son courage, de sa volonté de faire vivre une revue qu'il "désire voir rayonner davantage, gagner en qualité, en influence" (26-9-60). "Vous êtes le capitaine de cette nef sur les eaux creuses des Belgiques où tout est si calme !" (13-7-61). Notons que le cahier de l'automne 1960 sera entièrement consacré au dramaturge.
Les écrivains-amis et les Cahiers:
Jean Ray, qu'il cherche à atteindre à travers Thiry. "Jean Ray et son univers percé de coups de revolvers comme une voûte étoilée, floralies aux relents de mortuaires qui me flanquent l'asthme [...] c'est un des grands écrivains de l'époque, un authentique conteur et un poète de l'aventure" (24-4-60), "je l'aime beaucoup, ce vieil enfant épris d'histoires merveilleuses et terribles - du reste, authentique poète et grand conteur d'espèce très haute ! Je m'y connais !..." (13-6-60). Cependant, il est déçu par son dernier conte paru dans les Cahiers et dont la fin est éventée. Cette baisse de qualité est peut-être une transition ("on écrit parfois des pages qui révèlent un état de mue !...", (10-9-60), bien qu'il préfère personnellement "le silence à la déchéance" (28-9-60). Mais, en nov. 60, le dernier récit est bon "et vaut les meilleurs de sa plume" (12-11-60) car lire la prose de Ray le galvanise et lui donne envie d'écrire ("comme je dois lui sembler compliqué avec mon besoin de m'expliquer, de livrer toute ma pensée", 6-7-60). Il insiste pour qu'une anthologie de ses oeuvres, suggérée par Marabout, paraisse (13-6-60) et, le 28-2-61, apprend la nouvelle : "Notre ami Jean Ray s'est laissé marabouter à bout portant ! C'est merveilleux !" Enfin, maintenant qu'il est publié : "je tiens à revendiquer hautement la part que j'ai prise dans son élévation, ainsi suis-je fait, humble pour moi-même, glorieux pour ceux que je prône !" (29-6-61),
Jean Stiénon du Pré, qu'il place entre Pieyre de Mandiargues et Lise Deharme : "c'est notre seul écrivain précieux, encore que viril, mais le seul à user d'un grand style du XVIIe s. [...] terriblement artiste, ataviquement" (18-6-60),
Madeleine Gevers : "ange de cimetière par son aspect" (4-7-60), qu'il connaît depuis longtemps ("c'était mon élève", 18-6-60) et dont il fera publier des poèmes dans la Biloque,
Robert van den Haute, qui vient chez lui "une fois la semaine depuis 25 ans" (28-7-61),
Max Deauville : bien qu'il apprécie le bonhomme, il n'aime que moyennement son style et pas du tout quand il publie un article "médiocre" sur lui (4-12-60), lui qui ne sait pas faire du fantastique et n'a donc pas "l'âme métaphysique" (2-9-60),
Jean Stevo (voir vente Godts, février 2000): "écrivain catholique" (2-9-60) dont il est content car Stevo "a vu l'homme [i.e. Gh.] à l'intérieur avec ses singularités précisément, ses étrangetés. Et je crois bien qu'il me "devine" assez bien" (10-9-60). Stevo, "plus peintre qu'écrivain [...] et à ses heures tout bon critique littéraire, aux vues originales", dont Gh. rappelle que "c'est d'ailleurs par d'ensoriennes affinités que nous sommes devenus amis" et que c'est à lui seul qu'on doit d'avoir sauvé la maison-musée d'Ensor à Ostende (11-9-60),
Suzanne de Giey ou la "Dame aux initiales" dont il fera publier les contes étranges dans les Cahiers
et les autres, évoqués dans les lettres...
Jules De Bruycker : "un artiste que j'adore, dont je connais l'oeuvre entier [...], près de ma vision, de mon art, avec Ensor et Rops [...] il m'attendait chez lui, naguère : je n'ai pas voulu m'y rendre, par une sorte de pudeur - et j'ai eu tort car il m'estimait beaucoup et savait bien - le rusé ! - quelles affinités de race nous reliaient" (27-7-60),
et aussi Max Deltheil de Casablanca (11-9-60), Claire Fox (11-9-60), Van Damme (2-11-60), Paul Méral (29-3-61), Luc Hommel (28-7-61), le peintre Jamar (1-8-61), Firmin Van Hecke (1-8-61), Emmanuel Looten (20-8-61), le peintre comte Joseph Czapki (7-9-61), Draper (16-8-60)...
Sa vie d'écrivain : "on n'écrit pas pour s'amuser; on écrit pour ne pas crever, pour rester en vie !..." (6-7-60). Pour son oeuvre et son style "baroque-macaque-rococo-flamboyant" (11-9-60), il sacrifie tout y compris les plaisirs terrestres. "Ecrire, c'est un combat, c'est dur ! on se donne tout entier et on peut s'y tuer à ce jeu !" (27-8-61). Mais il peine en Belgique, dont il déteste les habitants mais adore les paysages et villes de Flandres ("rien n'est si pathétique que la Flandre obscurcie, balayée de tempêtes : c'est sa vraie mesure, sa tonalité !", 2-9-60), car la reconnaissance y est absente ("C'est [au Vieux Marché] que finit la littérature Belge !...", 21-12-60). Il se définit comme humble mais rêve de gloire ("j'aimerais que vous et Jean Ray n'ayez rien qu'une idée de réussite en m'évoquant !", 6-7-60), et y travaille habilement ("comme j'aimerais qu'un cahier où je suis spécialement à l'honneur reçoive une large diffusion", 7-10-60). Relevons qu'il avait une confiance absolue dans le jugement de son épouse sur sa prose et celle des autres.
Les lettres font régulièrement allusion à l'évolution de ses publications, aux diverses expositions (Ostende) qui lui sont consacrées et à la représentation de son théâtre.
Sa santé et les médecins :
Soigné par les Dr Moulaert et De Winter, Gh. souffrait d'asthme nerveux et des problèmes au ventre, mais ce n'est que vers avril 60 que Gh., à la suite d'une demande de prescription contre l'asthme, sollicite Thiry en tant que médecin. Les dernières lettres sont d'ailleurs plus amplement consacrées à sa santé. Mais Gh. connaît la vérité : "j'appréhende la Mort, cette vieille actrice qui traverse tout mon théâtre !..." (18-6-60). Et pour son oeuvre, il se ménage ("on s'est tenu tranquilles, comme font les vieux chiens égrotants qui font une cure de panier", 4-7-60) et peste comme le temps pourri qui le tient pendant des saisons entières "collé au poële [...] c'est vous dire que si je charogne "en corps"" (21-12-60). "Pourquoi ai-je un tempérament barométrique, qui détermine mes états selon la pression, les vents, le chaud, le froid ?" (1-9-60). Quant aux médecins, "Dans le réel, j'ai un grand respect du médecin qui se montrer humain, et humble devant le Mystère de la vie, l'ami de l'homme qui souffre [...] je ne méprise que les vaniteux [...]" (27-7-60).
- Tels sont les principaux thèmes de cette correspondance. Jamais de référence à l'actualité, sauf une fois ("Et l'homme dans les espaces qui tourne et revient - quelle affaire !", 11-9-60) ou à propos des flaminguants (28-9-60). Dans une lettre, il évoque la question de la religion : "Mon refus de m'engager a suffi de me faire passer pour un anarchiste - ce que je suis, sans douleur, et respectueux de toutes religions du monde !" et évoque à ce propos le scandale provoqué par sa pièce "Fastes d'enfer" jouée au Marigny à Paris (en oct. 49, # Beyen 4057) mais qui reçut l'approbation du délégué de l'archevêque de Paris et conclut qu'"Il n'y a pas de théâtre catholique : il n'y a que l'art, bon ou mauvais. Le reste est commerce ou combines pour réussir !..." (2-9-60). 2.000 Euros